vendredi 25 novembre 2005

NON À LA DETTE, MAIS OUI AU PATRIMOINE

Il est intéressant de voir ceux et celles qui prennent actuellement la parole pour dénoncer la dette et inciter à son élimination. Plus intéressante encore est l’argumentation développée pour passer à l’action le plus rapidement possible.

Il y a d’abord le groupe que l’on dit « des sages », composé de personnalités, pour la plupart, financièrement bien nanties. Il y a également un regroupement « de jeunes » dont les appartenances sociales sont plus près des milieux aisés que des milieux défavorisés. Cet aspect aurait peu à voir avec la discussion de la dette, si ce n’était de l’argumentaire utilisé.

Pour le groupe des « sages », il y a l’inquiétude de laisser à nos enfants un héritage de misère et de pauvreté dû en grande partie à une dette qu’ils seront incapables d’assumer seuls. Le déficit démographique fera en sorte que les travailleurs se feront de moins en moins nombreux et que les charges sociales se feront de plus en plus onéreuses. Leurs revenus n’arriveront plus à répondre à toutes ces obligations. «D'ici quelques années tout au plus, nos rêves - en fait, pas les nôtres, mais ceux de nos enfants - seront brutalement interrompus par des coups sur la porte : les huissiers! » (Manifeste…)

Quant au groupe « des jeunes », l’argumentaire mis de l’avant dissimule à peine le caractère abusif de la génération des babys boomers qui a endetté le Québec à ses propres fins, laissant aux générations à venir la responsabilité de payer la note. Ces derniers laissent sous-entendre que les babys boomers, et tous les autres qui ne sont plus actifs sur le marché du travail, ont endetté le Québec à leurs seuls avantages et qui, plus est, cessent de participer financièrement aux charges de la société lorsqu’ils prennent leur retraite. Ainsi, perçoivent-ils ces babys boomers comme une charge nette pour les travailleurs de l’avenir!

Je suis bien d’accord pour qu’il y ait débat sur cette question de la dette. Mais pour qu’il y ait un véritable débat, encore faut-il que l’on traite, en même temps, du patrimoine légué aux générations montantes, du partage actuel du fardeau fiscal et, plus fondamentalement, du type de société dont ils voudront bien se doter. Va-t-on poursuivre le développement d’une société solidaire n’excluant ni les personnes âgées, ni les jeunes, ni les malades, ni les immigrants, ni les pauvres, ni les sans emplois, ni les travailleurs de la classe moyenne etc. ou va-t-on bâtir des solidarités de clans, de classes, de groupes ?

Si, au début des années soixante, il n’y avait pas eu de révolution « tranquille » pour démocratiser l’éducation, la santé, le revenu de base pour la subsistance, etc. beaucoup de nos jeunes ne seraient pas là avec leur savoir, universitaire ou autre pour nous parler de la dette. Il est évident qu’il y a eu, qu’il y a et qu’il y aura un coût social à cette démocratisation, coût que la classe moyenne des travailleurs a en grande partie assumé et continuera d’assumer. Ce ne sont ni les grandes entreprises, ni les cadres supérieurs de ces dernières qui ont pris la part la plus élevée de ces coûts. Ces derniers peuvent compter sur la collaboration de comptables bien aguerris, intéressés même… et des lobbyistes « amis » de certains législateurs pour les soustraire de ces obligations. Si des œuvres philanthropiques ont pu surgir ici et là, c’est peut-être moins en raison d’une générosité personnelle et gratuite que grâce à certains avantages fiscaux consentis pour de telles initiatives. Encore là c’est la classe moyenne qui en assume la plus grande partie.

Il est vrai que la génération des babys boomers prend de plus en plus le chemin de la retraite : Certains pour laisser la place aux jeunes de la génération montante, d’autres tout simplement parce que les fermetures d’entreprises les laissent sans autre alternative. Dans tous les cas, cependant, une réalité sans conteste demeure : Ils laissent le marché du travail sans pour autant se soustraire à leurs obligations sociales de payeurs d’impôts. À cet égard d’ailleurs, il sera intéressant, voire essentiel, de cibler les payeurs d’impôts par groupes d’âge, par situations sociales etc. La dette, que cette génération - de moins jeunes- continue d’assumer avec tous les autres qui tirent leurs revenus d’un emploi, s’accompagne également d’un patrimoine qu’elle a contribué à bâtir en tant que relève des générations précédentes. Ce patrimoine, à l’échelle canadienne, s’élevait en décembre 2004, selon Statistique Canada, à 4,2 billions de dollars nets, soit 131 100 $ nets par habitant. (Le Quotidien, 16 décembre 2004) De quoi retenir quelque peu l’élan des huissiers à la porte.

Lorsque nous étions jeunes, parce que nous le fûmes, on nous parlait de la société des loisirs à laquelle nous serions toutes et tous conviés dans les années à venir. On faisait alors reposer le réalisme de cet avènement sur l’apport des nouvelles technologies qui permettraient notamment de faire faire le travail jusqu’alors réalisé par les humains. Hélas, les politiques fiscales qui prévalent semblent avoir omis systématiquement d’inclure ce nouveau « travailleur » en tant que contribuable! Il a été oublié, pour ainsi dire, par la fiscalité. En effet, n’est-il pas parmi les rares à pouvoir travailler sans devoir rendre son tribut à l’État ?

J’espère que le débat amorcé sera suffisamment large pour traiter de tous ces points comme faisant partie d’un même ensemble. Ce serait dommage qu’il mette en confrontation les générations. La solidarité à laquelle nous ont initiés nos ancêtres devraient inspirer nos propos et guider nos pas dans cette démarche. À ce que je sache, personne n’apporte avec lui son patrimoine, actif et passif, à l’heure du grand départ. Les générations qui suivent en sont les héritières. À ce jour, l’actif a toujours été plus élevé que le passif.

Oscar Fortin

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