dimanche 1 juillet 2007

BENOÎT XVI ET JÉSUS DE NAZARETH


Frère dans le Christ,

Je termine à l’instant la lecture des premiers chapitres de vos méditations sur JÉSUS DE NAZARETH. Je tiens, en tout premier lieu, à vous féliciter de cette initiative, sachant que les Théologiens, Docteurs, Prophètes et Croyants de toute tendance vont en scruter le contenu. En les publiant, vous acceptez de vous mettre à « blanc » devant cette galerie d’hommes et de femmes engagés, à divers degrés, dans l’avènement d’un monde de justice, de paix et de vérité, certains le faisant au nom de Jésus de Nazareth, d’autres au nom de la justice et du respect de la personne humaine. Bien humblement, étant du nombre des croyants engagés au côté de ces derniers, je me permets quelques commentaires et réflexions qui seront, je l’espère bien, médités à la lumière de l’Esprit de Jésus.

Personne ne doutera de la qualité de votre écriture, de la subtilité de plusieurs de vos analyses, de la finesse avec laquelle vous mettez à profit l’érudition qui vous caractérise. Autant de qualités donneront inévitablement aux faiblesses rencontrées une ampleur qui leur sera proportionnelle. Par exemple, le silence sur certains textes majeurs ne pourra être mis au compte de l’ignorance, pas plus que les jugements de valeurs asymétriques n’échapperont à la subjectivité et au parti pris idéologique. Il en sera de même pour certaines analyses sociales et politiques qui laisseront songeurs bien des lecteurs avertis.

DES SILENCES SIGNIFICATIFS

Dans le récit du Baptême de Jésus, on peut noter l’absence de trois références, pourtant importantes et de nature à jeter un éclairage particulier sur l’arrivée de ce Jésus et de sa mission au cœur de cette humanité à laquelle nous appartenons tous.

Il y a d’abord cette première rencontre de Jésus avec Jean-Baptiste au moment de la visite de Marie à sa cousine Élisabeth. Cette dernière, enceinte de Jean Baptiste, en entendant la salutation de Marie, sentit l’enfant bondir dans son sein et elle fut remplie de l’Esprit Saint. « Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira. » Alors Marie dit :

« …Il est intervenu de toute la force de son bras; il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse; il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides. » (Lc. 1, 51-55)

Dans le contexte social de l’époque où, selon vos propres donnés (p.96), 90% des habitants de la région faisaient partie de la classe des pauvres, cette exclamation prophétique de Marie ne tombait pas dans l’oreille de sourds. L’ordre du monde, mis en place par les rois, les empereurs et souvent soutenu ou toléré par les grands prêtres, n’était pas celui voulu par Dieu. C’est dans ce contexte que les zélotes, ces révolutionnaires du temps de Jésus, voulurent changer cet ordre des choses et que les esséniens se sont détournés du temple d’Hérode pour former des communautés familiales et monastiques dans le désert. (p32-33) L’arrivée de Jésus apporte donc une nouvelle espérance quant à l’avènement prochain d’un ordre nouveau dans le monde. Sa vie et sa mission en préciseront la nature. Une première référence, donc, pas du tout anecdotique, qu’il eût été important de relever pour mieux faire comprendre la suite de la mission de Jésus dans le monde.

La seconde rencontre se passe, une trentaine d’années plus tard, au Jourdan. Là, on y retrouve un Jean Baptiste qui ne mâche pas ses mots à l’endroit de beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens qui venaient pour se faire baptiser :

« Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient? Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion ; et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : « Nous avons pour père Abraham ». Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut en susciter des enfants à Abraham. Déjà la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre qui ne porte pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu. » (Mt.3, 7-10)

Ce passage n’est évidemment pas tendre à l’endroit de ces gens qui se réclament de la foi en Abraham, mais qui ne vivent que des apparats derrières lesquels se cache beaucoup d’hypocrisie. Le baptême de Jean fait appel dans un premier temps au dépouillement complet de ces artifices et dans un second temps à une manière nouvelle de vivre. Lorsqu’on lit vos propos en relation avec ces deux groupes, vous donnez plutôt l’impression de les couvrir d’une certaine compréhension.

« Les sadducéens, qui font majoritairement partie de l’aristocratie et de la classe sacerdotale, s’efforcent de vivre un judaïsme éclairé, conforme au model spirituel de l’époque, et partant de s’adapter à la domination romaine… Le mode de vie des pharisiens trouvera une incarnation durable dans le judaïsme imprégné par la Mishna et le Talmud…Il ne faut pas oublier que les gens qui sont allés vers le Christ provenaient d’horizon très divers et que la communauté chrétienne primitive comprenait aussi beaucoup de prêtres et d’anciens pharisiens. » (p.33)

Les Zélotes, pour leur part, ne bénéficient pas d’autant de compassion de votre part. « Ces derniers ne refusent ni la terreur, ni la violence pour restaurer la liberté d’Israël. (Par contre) Les pharisiens (…) tentent de leur côté de mener une vie d’observance stricte des préceptes de la Torah… » ( p.32)

Vos commentaires sur cette sortie de Jean Baptiste auraient sûrement éclairé vos lecteurs. S’il est vrai que le soulèvement des zélotes, repoussé par les soldats romains, s’est terminé dans un bain de sang dont ils furent les victimes, ils ne font toutefois pas l’objet de réprimande de la part de Jean-Baptiste, comme c’est le cas pour les pharisiens et sadducéens.

Le troisième texte qui fut passé sous silence est celui qui porte sur la conversion. À la foule qui lui demandait ce qu’il fallait faire, Jean répond :

« Si quelqu’un a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas; si quelqu’un a de quoi manger qu’il fasse de même. » Des collecteurs d’impôts aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent : « Maître que nous faut-il faire? » Il leur dit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé. » Des militaires lui demandaient : « Et nous, que nous faut-il faire? Il leur dit : « Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde. » (Luc 3. 10-14)

C’est là une autre référence qui jette une lumière particulière sur le nouvel esprit qui doit dorénavant inspirer ceux et celles qui se réclament du baptême de Jean. On y trouve des éléments importants sur la conversion. Aux soldats, dont certains avaient peut-être participé au refoulement des zélotes, il leur dit de ne faire ni violence ni tord à personne. Je ne saurais croire que ce passage vous ait échappé. Il eût été intéressant d’avoir, à la lumière de ce texte, votre analyse sur cette question de la violence des soldats. S’il y a les romains de cette époque, il y a aussi l’Irak, l’Afghanistan et la Palestine d’aujourd’hui.

LES TENTATIONS DE JÉSUS AU DÉSERT

Le récit des tentations se prête à bien des lectures, ce dont vous convenez vous-mêmes. Celle que vous en faites m’est apparue toute spirituelle et centrée sur la relation de l’homme avec Dieu. « Le commandement fondamental pour Israël est aussi celui des chrétiens : seul Dieu doit être adoré. »(p.64) À vous lire, vous donnez l’impression que Dieu envoya son Fils pour nous rappeler que seul Dieu doit être adoré, comme si Dieu se préoccupait avant tout des louanges que l’homme doit lui adresser. Si Jésus ne cache pas son identité et qu’il nous parle de son Père, source de son autorité, c’est beaucoup plus pour nous convaincre de la nécessité de changer l’ordre des choses existant qui ne répond pas à sa volonté. La « Volonté du Père » c’est que l’amour, fondé sur la justice et la vérité, s’étende à tous les humains de la terre. « Si vous ne croyez pas en moi, croyez au moins aux œuvres que je fais. » (Jn. 14,11)

La lecture des mêmes tentations, en relation avec les textes précédents, ceux là mêmes que vous n’avez pas retenus, laisse la place à une toute autre compréhension. Ce n’est plus l’homme tourné vers Dieu, mais c’est Dieu tourné vers l’homme. Avec Jésus, les pouvoirs qui dirigent le monde et dans lequel il vient s’insérer n’ont plus aucune prise sur le destin de l’humanité. Sa liberté, il la trouve dans l’Esprit qui l’unit au Père. Les tentations mettent en évidence que l’appât de la consommation, celui de la domination et cet autre des apparences n’ont pas de prise sur lui. Il ne peut être acheté, monnayé ou détourné de sa mission. Le nouvel ordre qu’il vient établir ne se fonde plus sur l’AVOIR-la DOMINATION-les APPARATS. Il résiste aux suggestions de Satan sur chacun de ces pouvoirs. Ce projet est ce qui le conduira à la croix. Avec Jésus de Nazareth c’est vraiment Dieu qui entre dans l’histoire des hommes. « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux. » (Apocalypse 21,3) Pour une lecture différente de ces trois tentations, je vous réfère à ma méditation portant sur la foi du 21Ième siècle.
http://humanisme.over-blog.com/article-138865.html

Je pourrais poursuivre avec d’autres silences sur certains textes comme celui du discours de Jésus contre les pharisiens que nous relate Mt. 23, 1-36 ou encore cet autre sur le Jugement dernier (Mt.25, 31-26) que vous évoquez sans vraiment le commenter dans ses implications existentielles. C’est pourtant Jésus lui-même qui nous dit sur quoi nous serons jugés. Ce n’est pas rien. Il ne pose pas beaucoup de questions sur l’adoration de Dieu, la foi dans les dogmes, les pratiques cultuelles. Bien plus, le premier groupe ne semble pas trop au fait de son existence, alors que le second appartient au groupe de ceux qui s’en réclament. Une réflexion sur les contenus existentiels de la foi, mis de l’avant par Jésus de Nazareth à la lumière de ce jugement, eût été d’autant plus éclairante que vos propres commentaires sur l’ensemble de la mission de Jésus semblent s’orienter différemment.

LE ROYAUME DE DIEU

Dans cette section, vous faites ressortir les diverses façons de comprendre, à travers l’histoire, ce que veut dire cette annonce du Royaume de Dieu. Vous êtes particulièrement préoccupé par la nature de la manifestation de ce Royaume dans notre monde. Est-ce l’Église dans ses rencontres cultuelles? Est-ce un Royaume tout intérieur qui se vit dans l’intimité d’une relation mystique avec Dieu? Est-ce l’avènement d’un monde de justice et de paix auquel toutes les religions se joindraient sans pour autant abandonner leurs cultes propres ? Votre jugement sur cette dernière approche ne manque pas d’intérêt : « Le caractère central du Royaume (selon cette opinion) aurait été précisément le cœur du message de Jésus, et constituerait la voie juste permettant de réunir enfin les forces positives de l’humanité dans la marche vers l’avenir du monde, « royaume » désignerait alors simplement un monde où règne la paix, la justice, et où la création est préservée. Il ne s’agirait de rien d’autre. Ce « royaume » devrait être instauré en tant que finalité de l’histoire. » (pp.74-75)

Disons, d’abord, qu’un monde où règneraient la justice, la paix et où l’environnement serait protégé, ce ne serait déjà pas si mal. Ce serait un pas important dans cette œuvre du créateur et dans les appels de Jésus à bâtir un nouveau monde, fondé sur la vérité, la justice et la paix. Loin d’être du « bavardage utopique sans contenu réel… » (p.75), ces objectifs ne sont-ils pas parties prenantes du royaume annoncé. « Tu as de la foi, moi j’ai des œuvres; prouve-moi ta foi sans les œuvres et moi, je tirerai de mes œuvres la preuve de ma foi. » (Jacques 2,18) Ne trouvez-vous pas que votre jugement sur ceux qui œuvrent à l’avènement de ce nouvel ordre du monde se situe bien en deçà de la réputation d’objectivité qu’on vous prête ?

Dans ce contexte où Dieu, selon votre analyse, ne semble pas faire partie de ce projet, il eût été intéressant que vous évoquiez ce que la théologie de la libération, développée particulièrement en Amérique latine par des théologiens croyants et solidaires de cette marche vers l’avènement d’un monde nouveau, apporte comme éléments complémentaires à cette approche que vous qualifiez de « bavardage utopique sans contenu réel ». C’est pourtant une pensée profondément chrétienne, très ancrée dans la réalité sociale, politique et économique dans laquelle évoluent dans la dépendance et la pauvreté plus des deux tiers de l’humanité. Nous savons que plusieurs de ces théologiens ont été suspendus et que certains autres ont été condamnés. D’ailleurs, la grande majorité se plaint de la mauvaise foi avec laquelle les autorités du Vatican, celles qui les censurent, leur font dire ce qu’ils ne disent pas de manière à les condamner plus facilement et à les soustraire de leurs tâches d’enseignants et de formateurs. Il eût été intéressant, là encore, que vous nous résumiez, comme vous l’avez fait pour les autres tendances, leur pensée en relation au Royaume de Dieu. Je regrette que vous n’ayez pas profité de l’occasion pour clarifier cette pensée et dire en quoi vous la condamnez. Ne partagez-vous pas avec eux le rejet du capitalisme à l’endroit duquel vous tenez des paroles qu’on entend rarement de la part d’autorités ecclésiales. D’ailleurs, en raison de leur particularité et de leur importance, je me permets de les citer :

« Face aux abus du pouvoir économique, face aux actes de cruauté d’un capitalisme qui ravale les hommes au rang de marchandise, nos yeux se sont ouverts sur les dangers que recèle la richesse, et nous comprenons de manière renouvelée ce que Jésus voulait dire quand il mettait en garde contre la richesse, contre le dieu Mammon qui détruit l’homme et qui étrangle entre ses horribles serres de rapace une grande partie du monde. » (p.120)

N’est-ce pas, parce que conscients de ce système qui génère autant de pauvreté et de discrimination, que les théologiens de la libération, prennent en compte cette situation et la dénonce avec force et vigueur? Toutefois, ils ne sauraient partager avec vous cette idée à l’effet que « le Tiers monde est le résultat « des aides de l’Occident aux pays en voie de développement, fondées sur des principes purement techniques et matériels, qui non seulement ont laissé Dieu de côté, mais ont encore éloigné les hommes de Dieu par l’orgueil de leur prétendu savoir, ont fait du Tiers Monde le Tiers Monde au sens moderne. » (p.53)

En lisant cette interprétation du sous-développement, je me suis demandé d’où vous pouviez la tenir. Votre érudition vous a certainement mis en contact avec de nombreuses études démontrant les conséquences dévastatrices de l’exploitation des pays du « Tiers Monde » par l’Occident et plus particulièrement par les pays dominés par le capitalisme, dont vous connaissez très bien les méfaits. Selon ces nombreuses études ce n’est pas tellement l’Occident qui aide les pays du Tiers Monde, mais le Tiers Monde qui alimente l’Occident de ses richesses. Devant une telle situation le discours et les actions ne peuvent plus être les mêmes. Jean Baptiste a brassé les pharisiens et les sadducéens et les a invités à une véritable conversion : « que celui qui a deux tuniques qu’il en donne une… ». Jésus en a fait tout autant en s’en prenant à toutes ces mascarades qui se font au dépend des pauvres et des laissés pour compte. Que fait l’Église aujourd’hui pour rappeler ces abus et ces crimes? Que fait-elle pour être libre de sa parole et dénoncer à temps et à contre temps ces systèmes qui « ravalent, comme vous dites, l’humain au rang d’esclaves »? Êtes-vous bien certain que c’est en opposant au règne du mal « la résistance passive de la souffrance, la tristesse qui assigne une limite au pouvoir du mal » que nous participerons à l’avènement du Royaume de Dieu ? Je me dois de citer en entier ce passage qui s’inspire en partie d’Ézéquiel 9,4 et que vous interprétez de la façon suivante:

« Il s’agit d’hommes qui ne hurlent pas avec les loups, qui ne se laissent pas entraîner à se faire les complices de l’injustice devenue naturelle, mais qui au contraire en souffrent. Même s’il n’est pas en leur pouvoir de changer dans son ensemble cette situation, ils opposent au règne du mal la résistance passive de la souffrance, la tristesse qui assigne une limite au pouvoir du mal. » (p. 108)

En lisant ce passage je n’ai pu m’empêcher de penser à ces peuples qui décident de se prendre en main sous la responsabilité de chefs non corrompus et décidés à servir les vraies valeurs de justice et de vérité. J’ai pensé au peuple Bolivien avec Evo Morales, à celui du Venezuela avec Hugo Chavez, au peuple Cubain avec Fidel Castro et à bien d’autres qui se refusent à croire que rien ne peut être fait. Les trois tentations de Jésus au Désert ne nous révèlent-elles pas qu’il a pris le taureau par les cornes en s’opposant au chantage, à la complicité et aux privilèges. C’est ce que font actuellement ces peuples et on comprend pourquoi ils dérangent tellement les maîtres du monde. D’ailleurs votre prédécesseur ne s’est pas fait attendre pour agir en Pologne contre le communisme et en Amérique latine contre les théologiens de la libération et les gouvernements aux idéologies socialisantes et anticapitalistes. La résistance passive ne faisait pas tellement partie de ses prises de positions sociales et politiques.

Pensez-vous que les grands prêtres, Pilate et Hérode se sont débarrassé de Jésus pour sa résistance passive ? C’est plutôt que sa vie, ses œuvres, son discours, ses dénonciations dérangeaient trop. Il fallait le faire taire en le faisant disparaître. Les dons de l’Esprit étant distribués à chacun selon la grâce de Dieu, je me permets de partager avec vous une première Méditation réalisée dans la foi sur la naissance d’un nouvel ordre mondial et une seconde Méditation sur le Juge suprême du monde:
http://humanisme.over-blog.com/article-1045159.html
http://humanisme.over-blog.com/article-2646952.html
LE SERMON SUR LA MONTAGNE

Je termine cette lettre, déjà trop longue, avec un bref commentaire sur les Béatitudes. Vous dites que c’est la nouvelle loi, celle qui inaugure le renversement des valeurs. « Les Béatitudes sont des promesses dans lesquelles resplendit la nouvelle image du monde et de l’homme.» (p.92-93) Vous en faites l’application aux disciples. « Les Béatitudes sont la transposition de la croix et de la résurrection dans l’existence des disciples. » (p.95) Sur la paix vous avez cette affirmation : « Là où l’homme perd Dieu de vue, la paix elle aussi dépérit et la violence prend le dessus avec des formes de cruauté insoupçonnées jusque là, c’est ce que nous ne voyons que trop bien aujourd’hui. » (p.107)

Il est curieux que vous ne vous attardiez pas sur le phénomène des guerres actuelles, menées au nom de Dieu. Vous n’êtes pas sans savoir que leurs auteurs sont les plus gros producteurs et consommateurs d’armes en dépit du fait qu’ils se réclament non seulement de Dieu, mais également de Jésus de Nazareth et tout cela pour faire fleurir le pouvoir de l’argent et celui de la domination du monde. L’Église n’est-elle pas solidaire de ces derniers par ses silences et parfois même ses collaborations? Cette situation ne contredit-elle pas votre affirmation « Là où l’homme perd Dieu de vue,…" ?

Il y a cette autre affirmation à l’effet que « Jésus attribue à son « Je » un caractère de norme dont aucun Maître en Israël ni aucun Docteur de l’Église ne peut se prévaloir. » (p.111) Cette référence à la « centricité » du « Je » de Jésus se retrouve également dans votre méditation sur la Torah et le Notre Père. Comment concilier cette affirmation avec ce passage de l’Évangéliste Jean qui cite Jésus s’adressant à certains sceptiques qui doutaient de lui-même : « si vous ne croyez pas en moi, croyez à tout le moins en ces œuvres que je fais. » Jn 14,11) L’apôtre Jacques, dans son épitre reprendra également ce raisonnement de Jésus que j’ai eu l’occasion de citer antérieurement. Il y a bien évidemment Jésus, mais aussi tous les laissés pour compte auxquels il s’identifie. Personne ne peut dire qu’il va à lui sans passer par ces derniers, tout comme personne ne peut dire qu’il va au Père sans passer par lui. Il y a lui, les œuvres, les laissés pour compte de la société qui conduisent tous à son Père. Cette présentation du « Je » de Jésus, si elle n’est pas clairement expliquée, peut prêter à beaucoup de confusion. Les précisions que vous apportez en citant Mc 3,34 « Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère » (p.139) vont sans doute en ce sens, mais laissent encore des zones dans l’ombre. Ne pensez-vous pas que cette Volonté du Père mériterait d’être particulièrement approfondie?

C’est dans un esprit de partage et de fidélité à ma foi que je me suis permis ces quelques commentaires. Je souhaite avoir l’occasion de vous revenir dans une autre correspondance sur les chapitres qui suivent. Il y a encore beaucoup à dire sur les persécutés pour la justice, sur le caractère universel de l’action de Jésus en relation avec l’humanité toute entière qui va bien au-delà des disciples au sens institutionnel du terme, sur l’Église en tant que Peuple de Dieu et sur l’humanité en tant qu’œuvre de Dieu.

Que le Christ ressuscité vous accompagne et vous assure, dans vos fonctions, cette liberté de l’Esprit Saint, liberté qui affranchit de ces trois grands pouvoirs que relèvent les tentations de Jésus au désert et qui rend capable de dénoncer à temps et à contre temps un ordre du monde qui ne correspond pas à celui voulu par le Père.

Bien fraternellement

Oscar Fortin
29 juin 2007
http://humanisme.blogspot.com

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